Je ne sais si vous êtes comme moi, mais je trouve que le Tour de France devient de moins en moins palpitant au fil des éditions. Un immense bastringue pour une course qui n’en vaut plus la peine. Trop de matraquage médiatique, de promotion publicitaire, d’agitation fébrile autour d’un événement qui devient une arnaque commerciale. Quelque 100 millions d’euros de bénéfice au final, mais si on enlevait l’emballage qu’en resterait-il ? Chaque jour le même scénario : une échappée de coureurs non concernés par le classement général et repris dans les derniers kilomètres. Et surtout des favoris qui ne tentent jamais rien, qui jouent les attentistes et repoussent constamment l’échéance. Des suiveurs surtout, à l’image d’Uran, qui calquent leur attitude sur celle de Froome tout en espérant qu’il connaisse un jour « sans », voire un problème mécanique ou qu’il rate un virage un jour ou l’autre.

Cette alerte s’est vérifiée à l’arrivée en altitude à Peyragudes où le maillot jaune, en crise dès le col de Peyresourde, a calé à 300 m. de la ligne sur une pente à 18% et a cédé 22 secondes à Bardet, Uran et Aru, promu leader provisoire. Il a avoué qu’il aurait pu perdre le Tour ce jour-là, si… Cela s’est reproduit sur la route du Puy-en-Velay au moment d’aborder le petit col de Peyra Taillade. La traversée de l’Aubrac avait disloqué le peloton et laissé bon nombre de coureurs en pleine débandade. Les voitures d’équipes étaient bloquées à l’arrière et heureusement pour Froome que Kwiatkowski, son équipier no. 1, a pu lui passer sa roue arrière, sinon… Il a toutefois fallu que le leader efface un retard de 50 secondes sur ses adversaires directs dans la montée de ce très dur petit col du Massif central. Un exploit qui est passé un peu inaperçu et qui aurait aussi pu avoir de graves conséquences. C’est en ces deux occasions qu’il a sauvé son succès final.

A part ces incidents de course, rien ou presque. Des étapes qui deviennent des processions, qui servent à montrer le maillot durant ces interminables heures de direct télé ; des rendez-vous avec la montagne escamotés, avec des favoris sur la réserve jusque dans le final, et encore. En revanche, des images sublimes de la France profonde, rurale et belle comme sur des cartes postales qu’on envoie à sa famille, à ses amis du fond de ses vacances. Des châteaux superbement conservés ou des ruines qui témoignent d’un passé historique d’une richesse incroyable ; des vallées verdoyantes ou des sommets encore enneigés. Bref, des paysages, des monuments d’une beauté rare qui se révèlent grâce aux caméras désormais embarquées sur des drones : tout le patrimoine d’un pays extraordinairement touristique qui vit pendant trois semaines au rythme d’une compétition sportive de portée mondiale.

Mais il y a un revers à la médaille. Après de nombreuses années de bons et loyaux services en faveur d’ASO, Bernard Hinault a tiré sa révérence après 2016 avec ces mots qui résument la nouvelle situation : « Aujourd’hui au Tour de France, on bouffe plus de TV que de vélo ! » Le grand Merckx y est aussi allé de ses réflexions dans les colonnes du journal Le Soir, de Bruxelles, le 21 juillet dernier : « Je n’ai pas trouvé ce Tour vraiment intéressant (…) Il y a eu peu de spectacle, beaucoup d’étapes étaient ennuyeuses (…) J’ai souvent regardé le départ, puis j’ai fait autre chose. Je ne suis pas resté des heures devant la TV. Je m’attendais quand même à quelque chose en montagne mais beaucoup de leaders n’ont rien fait d’autre que d’attendre. Froome lui même n’a jamais attaqué. Il n’a rien fait d’exceptionnel mais il n’y avait personne pour le battre ! Froome ne roule que le Tour. Si tu vois les choses de la sorte, autant n’organiser que le Tour, vu que c’est la seule course qui compte. Mais le cyclisme, c’est aussi le Tour d’Italie, Milan-San Remo, Paris-Roubaix, etc. Toutes ces courses ont leur valeur. »

Selon un sondage officiel, 50% des spectateurs ne viennent désormais sur la route du Tour que pour la caravane publicitaire, 20% le suivent grâce aux extraordinaires images télé et seulement 30% s’intéressent réellement à la course. Mais quelle course ? Un défilé de figurants entre deux haies de vacanciers et aux ordres de managers qui comptabilisent les minutes passées sur l’antenne de France Télévisions. Pour les équipes et les sponsors, le Tour –du fait de sa mondialisation- est devenu tellement important qu’on redoute la moindre erreur tactique, celle qui empêche toute prise de risque désormais. Comme si chacun avait peur du retour de bâton.

Sans remonter à Merckx, Hinault et Fignon, on est loin des épopées à la Virenque, à la Jalabert ou à la Pantani ! Est-ce à dire que le vélo est devenu plus sain ? Les faits tendent à confirmer qu’on n’a plus autant de chevaux sous le capot qu’à une certaine époque, sinon on ne se battrait pas pour des bonifications. Comme Bardet à l’Izoard où sa troisième place obtenue au prix d’un effort surhumain lui a permis de sauver finalement son podium à Paris pour 1 petite seconde par rapport à Landa. Il est toutefois heureux pour lui que cette édition 2017 se soit achevée par un chrono de 22,5 km plutôt que de 50 ou 60 kilomètres, comme autrefois !

Parmi les anciens, il n’y a que le vénérable Poulidor (81 ans), icône inoxydable toujours présente dans la caravane publicitaire, qui voue au Tour de France cette passion aveugle qu’il nourrit depuis les années 1960, soit plus d’un demi-siècle. A croire que l’évolution du vélo lui est étrangère. Jadis, il refusait de croire qu’Armstrong était un extra-terrestre. Aujourd’hui, comme beaucoup, il voit en Bardet un futur successeur à Hinault. Un rêve suspendu au bon vouloir de l’organisateur qui serait bien inspiré de lui offrir alors un parcours sur mesure. Et sans contre la montre, pour bien faire.

Bertrand Duboux, 24.7.2017