Roger Pingeon, le vainqueur du Tour de France 1967 (2e en 1969) et du Tour d’Espagne 1969 notamment, est décédé d’une crise cardiaque dans la nuit du 18 au 19 mars à son domicile de Beaupont, près de Bourg-en-Bresse. Il aurait eu 77 ans le 28 août prochain. Un choc pour son épouse, Marthe, ses enfants et ses amis proches alors qu’il semblait reprendre du poil de la bête après avoir été affecté dans sa santé ces derniers mois à la suite d’une intervention chirurgicale ratée qui l’avait obligé à abandonner ses activités, en particulier la chasse, son autre passion, la danse et les chansons populaires.
Nous étions complices et amis après vingt éditions vécues au micro de la Télévision suisse romande entre 1979 et 1998. Que de souvenirs de cette époque merveilleuse qui nous avaient réunis dans la passion du vélo.
Né à Hauteville, sur le plateau du Bugey, Roger Pingeon s’est fait connaître tard dans le cyclisme à cause de la guerre d’Algérie qui lui a pris deux de ses meilleures années au début de sa carrière. Professionnel à 25 ans, ce champion flamboyant s’est d’entrée fait connaître par son tempérament offensif. Dès sa première saison, en 1965, il aurait dû remporter le Midi Libre dont il était leader à la barbe des champions de l’époque, mais il avait été victime d’une cabale montée par l’organisateur qui ne voulait pas d’un vainqueur inconnu au palmarès…
Une entrée en matière qui avait provoqué en lui une cruelle désillusion dont il gardera des traces. Car il était trop honnête et tenait son métier de coureur en trop haute estime pour entrer dans les combines. Il a voulu s’élever au-dessus des clans et tracer sa voie en marge des embrouilles qui tenaient le peloton français sous haute tension et en état de rivalité permanente. A l’image de l’opposition Anquetil-Poulidor.
J’avais pour Roger une affection profonde, car il m’a pratiquement tout appris du sport cycliste. Le vélo, il le respectait comme personne, et par-dessus tout le Tour de France qu’il a réussi à marquer de son empreinte. Ses exploits solitaires sont encore dans les mémoires: Jambes 1967, Albi et Grenoble 1968, et même Chamonix 1969 où il avait battu le jeune Merckx qui avait commencé à étendre sa domination sur le cyclisme mondial (il sera son dauphin à Paris).
Pingeon aurait pu, aurait dû inscrire à trois reprises son nom au palmarès du Tour de France. Sa première participation, en 1965, lui avait valu d’être le meilleur représentant français à l’amorce des Pyrénées (6e), mais une chute au passage de l’Aubisque (son épaule gauche a heurté le rocher) avait tout gâché alors qu’il restait à escalader Soulor et Tourmalet. Il perdra 11 minutes à Bagnères-de-Bigorre, mais sera tout de même 12e à Paris à 20’32 du jeune Gimondi. En 1966, il avait prévu, pour une fois, de calquer sa course sur celle d’Anquetil et Poulidor, mais le coup de poker gagnant d’Aimar l’avait surpris, comme beaucoup!
Revanchard en 1967, il avait pris son destin en main avec la réussite et la grande consécration, enfin, au bout de sa formidable chevauchée vers Jambes, en Belgique. Il lui avait fallu résister aux assauts de Julio Jimenez, l’intenable grimpeur espagnol, alors que Poulidor jouait les équipiers occasionnels. L’année suivante, il avait décidé de lui renvoyer l’ascenseur et s’était sacrifié en marquant Aimar, Janssen, Van Springel, Bitossi et consorts alors que Poulidor s’était glissé dans une échappée vers Saint-Gaudens qui avait pris 2’29 au peloton.
Du fait de l’absence de Gimondi, Motta et Balmamion et du jeune Merckx, pas encore 23 ans, le succès tendait les bras au Limousin, mais la presse avait pris le comportement de Pingeon pour un fléchissement. Piqué au vif, celui-ci avait attaqué quelques jours plus tard, au lendemain du jour de repos à St.Romeu, où il avait mis en pratique sa fameuse méthode personnelle de récupération. Malgré le vent de face, il mènera un raid solitaire de 193 kilomètres vers Albi à 40 km/h de moyenne. Après avoir compté jusqu’à 12 minutes d’avance, il conservera 2’58 à l’arrivée. Un coup de panache qui le replaçait au classement, mais atténué toutefois par la chute de Poulidor à 50 km de l’arrivée et qui avait déclenché les hostilités au peloton. Celles-ci coûteront à Pingeon une bonne partie de son avantage et pèseront lourd à Paris! D’autant plus que Poulidor, percuté par une moto de presse et souffrant d’une fracture du nez, sera harcelé par l’opposition et abandonnera deux jours plus tard laissant place à une polémique qui enflammera le Tour. Etait-ce à Pingeon d’attaquer ? Que penser du comportement d’Aimar et des autres ? Finalement Pingeon terminera 5e de ce Tour à 3’29 de Janssen qui avait réussi à détrôner Van Springel à l’issue du chrono final.
En 1972, il avait participé à la victoire de son jeune équipier Bernard Thévenet au Tour de Romandie. L’équipe Peugeot avait gagné le prologue par équipes avec Tschan, Pingeon et Thévenet et tout raflé: Martelozzo avait pris le maillot vert après l’arrivée à Grimentz, Delisle s’était imposé à Moléson et Thevenet avait gagné le chrono à Neuchâtel. Pingeon avait terminé 5e et Richard Chassot en avait fait l’invité d’honneur du repas de soutien de la 70e édition, en mars 2016. Une sympathique marque d’estime et de reconnaissance à l’égard de ce champion jamais à l’abri de mésaventures inattendues, comme au Tour de Suisse cette année-là où son directeur sportif avait refusé de lui passer quelques morceaux de sucre en vue de l’arrivée à Gstaad alors qu’échappé avec Dancelli, il était en train de faire basculer la course en sa faveur. L’Italien avait terminé seul avec 13 secondes d’avance sur Roger, mais le peloton était relégué à près de trois minutes! Un coup de fringale qui l’avait privé de la victoire finale au profit du Zurichois Louis Pfenninger pour 21 secondes!
Un champion à panache, à la personnalité forte, mais timide et réservé, et trop souvent incompris par le milieu, car fragile aussi bien physiquement que psychologiquement. Souvent accablé par la malchance et les ennuis de santé, il n’aura brillé que quelques saisons. Son caractère sans concession fut à l’origine de sautes d’humeur spectaculaires et imprévisibles, souvent incomprises et mal interprétées par la presse de l’époque. D’où son ressentiment à l’égard du milieu qui n’a jamais considéré à sa juste valeur ce montagnard du Bugey original, certes, mais attachant et fragile comme un verre de cristal.
Bertrand Duboux
très bel hommage
Encore un bel hommage de votre part envers Roger après celui de l’église de BEAUPONT