Octobre noir pour le cyclisme suisse et surtout le cyclisme romand après l’annonce du retrait – faute d’un soutien financier – des deux équipes IAM Cycling (World Tour) et Roth Gruppe Professionnal Cycleteam (Continental Pro). Seule demeure active au plus haut niveau la formation BMC du mécène zurichois Andy Rihs. Celle-ci évolue toutefois sous licence américaine et va désormais bénéficier de l’apport de l’entreprise horlogère TAG-Heuer!
Pour les coureurs suisses, Romands pour la plupart, qui vont rester sur le carreau, c’est un coup de massue supplémentaire et on imagine bien qu’ils ont du mal à comprendre et à accepter que la saison 2017 puisse partir sans eux, faute d’un co-sponsor et d’un budget suffisant. La dure loi du monde des affaires et du cyclisme professionnel.
Si le Lucernois Mathias Frank roulera pour AG2R (2 ans) et Reto Hollenstein (1 saison) pour l’équipe Katusha (qui a établi son siège à Genève et deviendra suisse !), si Elmiger le Zougois a pu retrouver de l’embauche à 38 ans chez BMC, qu’en sera-t-il des autres ? De Jonathan Fumeaux (28 ans), le champion de Suisse, et Simon Pellaud (24 ans), de Valentin Baillifard (22 ans), Tristan Marguet (29 ans) Frank Pasche (23 ans) et Dylan Page (23 ans) ainsi que des Pirmin Lang, Martin Kohler, Marcel Aregger, Colin Stüssi, Roland Thalmann, etc ? Quant à Oliver Zaugg (35 ans), le vainqueur du Tour de Lombardie 2011, il a annoncé la fin de sa carrière. Comme Cancellara, d’ailleurs.
«Nous sommes des outils marketing, mais si tu n’es pas d’accord avec le système, il faut faire autre chose», reconnaît Simon Pellaud, après deux saisons et demie chez IAM. «Sans Michel Thétaz, je n’aurais jamais été pro et je n’aurais jamais fait la Vuelta. J’ai lancé des hameçons mais je suis réaliste: je ne serai pas professionnel en 2017. J’ai pas mal de contacts, j’ai été apprécié comme équipier mais ça ne suffit pas. Il aurait fallu qu’une de mes échappées aille au bout.»
L’avenir ?
«Il y a beaucoup d’équipes qui arrêtent, c’est bouché sur tous les continents», ajoute Pellaud. «Je regarde vers des équipes exotiques. Pour me faire plaisir, voyager, apprendre les langues, peut-être gagner une petite course et trouver une ouverture. Sinon, j’envisage de reprendre mes études en septembre 2017. J’ai une maturité commerciale et encore accès à toutes les filières. Il faut que je m’occupe jusque là. Mais pas question de revenir en élite: ce n’est pas supportable financièrement.»
Et Jonathan Fumeaux, sacré en juin dernier devant son public, à Martigny ?
«Si dans deux semaines rien ne se passe, je ferai du vélo mon hobby!» annonce-t-il. «Le maillot de champion de Suisse ne représente pas grand chose. C’est bizarre qu’aucune équipe ne soit intéressée. Cette saison, je n’ai pas beaucoup couru et je reste un peu sur ma faim. Avec BMC, c’est pas clair. Mais il y a de plus en plus de coureurs sur le marché, on est en concurrence partout. J’ai quelques contacts à l’étranger, en Belgique, en France. Actuellement je suis à 50-50 avec une équipe. Tant qu’on ne m’a pas dit non, je garde l’espoir. Sinon, j’ai un bachelor en sciences économique, on verra…» Plutôt fataliste, Fumeaux, malgré un futur en point d’interrogation.
C’est plus difficile pour le Bagnard Valentin Baillifard : «Je ne m’attendais pas du tout à cette décision, déplore le grimpeur valaisan de Roth Gruppe. Certes, on était une équipe à petit budget mais depuis le mois d’août, en interne, on nous parlait de l’année prochaine comme quelque chose d’acquis. Ils ont même fait signer Pasqualon une semaine avant la terrible annonce. Ma réaction a été de la tristesse, le sentiment d’avoir le monde qui s’écroule sous mes pieds. J’étais déboussolé!»
«On achète plus facilement les bus et le matériel suisse que les coureurs!»
Fin octobre, aucun des Romands impactés par ces décisions brutales et dommageables pour la relève, n’avait pu retrouver un contrat. Trop tard, les équipes ont déjà fait leur marché, les places disponibles à l’étranger sont rares, surtout pour ceux qui sont en début de carrière, avec un palmarès modeste et dont les réelles possibilités n’ont pas eu le temps d’être confirmées. Et selon Michel Thétaz, le patron de IAM, «on achète plus facilement les bus et le matériel suisse que les coureurs !» (20 minutes). D’où une amertume compréhensible qui ajoute au désarroi de ces jeunes néo-professionnels et anéantit leurs espoirs et leurs illusions.
IAM, puis Roth
Si le renoncement de IAM Cycling était annoncé et envisageable depuis la fin du Tour de France, le changement de stratégie de Roth, promu à l’échelon Continental Pro à l’intersaison, est plus inattendu. Certes, la structure avait déjà perdu Skoda, son co-sponsor, en cours de saison 2016, le constructeur tchèque apparenté au groupe Volkswagen ayant décidé de réduire la voilure suite aux problèmes rencontrés par la maison mère. Mais en coulisse on cultivait, semble-t-il, toujours l’espoir d’être encore là en 2017.
«J’en ai pris un sale coup au moral», témoigne pour sa part Dylan Page, avant de partir disputer une épreuve par étapes de neuf jours en Chine. «J’avais deux ans de contrat et tout laissait penser qu’il n’y avait pas de problème. On nous a dit de rester concentrés sur notre programme, qu’ils recherchaient des co-sponsors. On parlait même d’une marque de vélos. C’est très dur. Pour moi, c’est un pas en arrière. Je ne sais pas quel est mon avenir. J’ai deux-trois pistes en Italie et Allemagne pour rester à l’échelon Continental Pro mais c’est difficile. La solution pourrait être une équipe Continentale, sinon je devrais retourner travailler. Peut-être vais-je redescendre en élite en Suisse. La décision est arrivée trop tard. C’est cela qui rend la chose plus compliquée.»
«Impossible de repartir pour une nouvelle saison»
Lancée par le sulfureux manager Roberto Marchetti, l’équipe Roth avait dû se restructurer et revoir son investissement car l’aventure dépassait ses réelles possibilités financières. Pour son responsable, Stefan Blaser, «il était impossible de repartir pour une nouvelle saison sur les mêmes bases. Peu avant la décision, nous négociions encore avec de nouveaux partenaires mais malheureusement nous n’avons pas abouti», déplore-t-il.
Et Dylan Page d’ajouter: «Marchetti a foncé tête baissée, puis il s’est retiré. Il y a eu des manoeuvres par derrière. Je crois qu’il a signé des contrats sans pouvoir les honorer. A-t-il été viré ou est-il parti, je n’en sais rien. Mais il avait trop promis et la pression était sur lui. Il remonte une équipe élite pour 2017. C’est lui qui m’a lancé, il m’a permis d’aller courir en Italie et en France notamment.»
Le moins affecté semble être Frank Pasche, membre du quatuor de poursuite qualifié pour les JO de Rio mais écarté sur place par l’entraîneur Daniel Gisiger. Le Lausannois avait déjà dû digérer une première mise à l’écart douloureuse. Son salut viendra-t-il de la piste ? «J’ai tout de suite cherché à aller de l’avant. Le passé est le passé. On ne peut pas le changer et donc il fallait rapidement se reconcentrer sur le futur», explique-t-il. «Bien sûr, c’était un coup au moral. En effet, nous avions été conviés à une réunion extraordinaire par e-mail et je me doutais que quelque chose se préparait. Après avoir entendu quelques bruits de couloir, j’étais presque sûr du contenu de cette réunion. L’avenir s’annonce bien pour moi. Je continue ma carrière sur piste avec toujours autant d’envie et de détermination. Je serai un coureur individuel en 2017 et cela me laissera beaucoup de liberté pour mener mon programme de la meilleure des manières. Pour 2017, c’est clair, ce sera un programme complet sur piste avec de grandes compétitions mais aussi des plus petites tout au long de l’année. Pour la suite, on verra le moment venu.»
Désormais le Team Roth, que le Lausannois Dimitri Bussard avait déjà quitté en cours de saison pour l’Allemagne, va miser sur la relève et la nouvelle génération. L’équipe juniors 2016, avec Marc Hirschi (18 ans), le champion de Suisse de la catégorie, vainqueur du Tour du Pays de Vaud, et champion de Suisse et du monde du madison, Stefan Bissegger (18 ans), le champion du monde de poursuite, et le Vaudois Robin Froidevaux (18 ans) continuera comme U23 Development et Roth Gruppe restera sponsor d’un team juniors à l’avenir. Tout n’est donc pas perdu pour eux.
Il n’empêche que cette double décision de retrait porte un coup très dur au cyclisme helvétique et surtout romand. Pas seulement aux professionnels mais à ceux qui arrivent derrière et font partie de cette relève talentueuse personnifiée notamment par les Gino Mäder (19 ans/VC Wiedlisbach), Mario Spengler (19 ans) et Reto Müller (18 ans/Team Gadola).
BMC Development, la meilleure filière?
Pour l’heure, c’est BMC Development, la structure espoirs de l’équipe WorldTour, qui offre la meilleure filière pour servir de tremplin aux talents suisses. En sont déjà membres les frères Lukas et Mario Spengler, Patrick Müller, le Vaudois Martin Schäppi, l’unique Romand si l’on excepte le Haut-Valaisan Kilian Frankiny, alors que le Zurichois Fabian Lienhard est passé stagiaire pro. Pour les autres, les portes risquent d’être désespérément fermées d’autant plus qu’EKZ, l’entreprise zurichoise, devrait quitter la route pour le cyclocross, ce qui a poussé le Vaudois Théry Schir a regarder du côté de l’Autriche (Vorarlberg). Et quel futur pour les deux Romands champions d’Europe sur piste Gaël Suter (scratch) et Loïc Perizzolo (éliminatoire)?
Espoirs ou désespoir ?
Bertrand Duboux, 29.10.2016