Le titre ci-dessus est celui que les lecteurs du dernier numéro de Vélo Romand (actuellement en kiosque) auraient dû découvrir avec l’article consacré à Gilbert Bischoff par Bertrand Duboux. Une erreur qui a échappé à notre attention en a décidé autrement. C’est pourquoi vous trouverez cet article, avec son titre corrigé, en libre téléchargement ci-dessous, accompagné du texte intégral. Bonne lecture!
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Gilbert Bischoff, champion vaudois au grand coeur
Il est l’image de la bonté et de l’amitié. Avec une apparence de géant placide et débonnaire qui promène paisiblement sa grande carcasse de 1m92. Des qualités qui le font apprécier partout où il passe. C’était déjà le cas lorsqu’il était coureur amateur dans les années 1970 et l’un des grands espoirs suisses. Cela l’est encore plus aujourd’hui qu’il a rebondi et mène depuis trente ans, avec son épouse Dominique, une action humanitaire au Mexique en faveur d’enfants deshérités et en parallèle à son métier de plâtrier-peintre.
Une aventure remarquable qui prend le pas désormais sur une carrière sportive de grande qualité que Gilbert Bischoff a entamée en 1968, à 17 ans, au Cyclophile lausannois. Amateur en 1970, il commence par gagner le Tour du Haut-Léman, à Montreux. Mais il lui est difficile de concilier l’apprentissage et la compétition. Il peine. Il impose toutefois son grand gabarit et sa puissance en fera vite un spécialiste du contre-la-montre avec à son palmarès de nombreuses victoires dans cette spécialité, dont trois fois consécutivement le fameux et prestigieux Grand Prix des Nations (1971-72-73) disputé en ouverture de l’épreuve des professionnels.
Heureux concours de circonstances
Passé Elite en 1971, à 20 ans, le Vaudois cette année-là avait échoué de peu en finale du championnat de Suisse de poursuite face à Josef Fuchs, futur médaillé d’argent aux Mondiaux de Varese. Mais le GP des Nations allait le révéler sur le plan international en fin de saison. Et par un heureux concours de circonstances !
– Cela c’est passé dans les douches, à Paris, raconte-t-il en rigolant. On était à poils avec Henri Regamey après avoir disputé une course de gentlemen. Personne ne me connaissait et Henri a insisté auprès d’Albert Bouvet (réd. l’organisateur) pour qu’il m’engage en remplacement de Bruno Hubschmid, forfait pour maladie. J’ai été inscrit à la dernière minute. C’était mi-octobre et j’avais déjà mis fin à ma saison. Regamey a sorti la Vespa et m’a entraîné pendant une semaine. A fond derrière moto autour du lac de Neuchâtel. On empruntait encore la vallée de Chevreuse, comme à l’époque d’Anquetil. Et j’ai gagné, à la surprise générale ! C’était le même jour que la mort du pilote Jo Siffert. Cette victoire a lancé ma carrière.
Ses exceptionnelles qualités de rouleur constituent le fonds de commerce de Bischoff. Il rééditera son exploit en 1972 devant le Britannique Lloyd et le Hollandais Schuiten, puis en 1973 à St.Jean-de-Monts (Vendée) devant le Belge Vandenbroucke et le Français Patrick Perret qui l’avait dominé de peu au GP de France deux semaines auparavant. De solides références.
– Anquetil s’était proposé de me suivre dans la voiture. Il m’a annoncé que j’avais une minute d’avance à dix kilomètres de l’arrivée. C’était une erreur, car il avait sous-estimé Perret et n’avait pas noté son temps… Je n’ai pas voulu prendre de risques sur la fin et j’ai un peu levé le pied. Et Perret m’a battu de 13 secondes mais j’ai pris ma revanche aux Nations quinze jours plus tard !
Ces deux années-là, Bischoff n’avait été dominé qu’en finale suisse de la poursuite par le Lucernois Xaver Kurmann, champion du monde 69-70 et vice-champion olympique 72. Sélectionné pour les JO de Munich, il avait obtenu la 8ème place des 100 km par équipes avec Hubschmid, Roland Schaer et Ueli Sutter, à une époque où le cyclisme amateur était dominé par les représentants de l’Union soviétique, la Pologne et l’Allemagne de l’Est. Il gagnera avec Cilo l’épreuve par équipes de l’ARIF 1973 et le championnat de Suisse des marques ainsi que celui des clubs avec le VC Mendrisio.
Egalement à l’aise dans les course en ligne, le jeune Vaudois (21 ans) avait enlevé début 1972 la première étape du Tour du Tachira (Vénézuela) avant de terminer 2ème du Grand Prix Suisse de la route 1°) l’épreuve de référence pour les Elite helvétiques, seulement battu aux points par Hubschmid et après s’être imposé contre la montre, à Morges. Il sera encore 3ème en 1974 derrière Iwan Schmid et Meinrad Voegele.
– Je n’étais pas à l’aise sur des pentes à forts pourcentages, précise-t-il. Sinon, je m’en sortais bien. Je ne sais pas combien de watts je développais. Je n’ai aucune idée. On ne savait rien de tout çà, on n’avait pas d’ordinateur !
1975 sera l’une de ses meilleures saisons. Vainqueur notamment du GP de France chrono, du championnat de Zurich, du Tour du canton de Fribourg, il est sollicité début 1976 lors d’un stage récréatif à St.Gervais pour passer professionnel dans la modeste équipe Jobo-Wolber-La France, tout en portant le maillot Cilo en Suisse. Une aventure qui tournera court car Gilbert et sa jeune épouse ne roulent pas sur l’or.
« Je n’ai pas voulu m’accrocher aux voitures »
– L’équipe avait été créée en 1974, avec notamment Pingeon en fin de carrière. Le salaire n’était pas terrible et les vélos n’étaient pas prêts. Monsieur Faubert était un passionné. Il mettait même la paie de sa femme dans la combine. J’ai participé au Tour de Romandie dans une équipe mixte-fédérale avec Zweifel, Leuenberger, Wollenmann, Voegele et René Savary mais il n’y avait personne pour s’occuper de nous. Pour l’étape contre la montre, j’avais confié une paire de roues à un bénévole de l’organisation mais le gars est parti avec, et je ne l’ai jamais revu ! J’avais aussi gagné la prime offerte par les médecins mais je n’ai jamais touché l’argent… Au Dauphiné, distancé avec un Espagnol dans une étape de montagne, je suis arrivé hors délai car je n’ai pas voulu m’accrocher aux voitures, au contraire de Walter Planckaert… Ma dernière course a été le chrono du Tour de Suisse, à Morat. J’avais des difficultés financières, ma femme avait perdu son travail et mes parents ne pouvaient pas m’aider. Il a fallu faire un choix pour faire bouillir la marmite.
Fin 1976, Gilbert range son vélo. Il n’a que 25 ans et n’a pas pu aller au bout de ses ambitions et de ses possibilités. Il retrouve le train-train de la vie quotidienne et reprend ses pinceaux. En 1984, il accompagne à Usila, au Mexique, une voisine italienne qui rend visite à son frère prêtre dans une petite bourgade totalement isolée. Ce sera le coup de foudre pour une région où il n’y a ni route, ni téléphone, ni TV, et pour des habitants défavorisés auxquels le couple Bischoff a décidé de venir en aide. En 1989, celui-ci part pour un séjour d’un année sur place. Le début d’une nouvelle et belle aventure qui émeut les consciences à travers un article de la 24 Heures sous la plume du journaliste Gilbert Pidoux.
Le soir de la parution du reportage, plus de dix mille francs sont recueillis par un ami lausannois, Gino Masini, qui a ouvert un compte pour financer l’opération. Au final, plus de cinquante mille francs seront récoltés qui permettront de faire opérer et soigner de nombreux enfants victimes de malformations ou autres pathologies. Gilbert va collaborer avec les religieux, aider à repeindre et construire des bâtiments. Chaque année, le couple retournera sur place entre trois et six semaines. Il a aussi fait parvenir un container d’habits, a récupéré et envoyé plus de huitante fauteuils roulants usagés.
– Gilbert s’est investi à fond dans cette aventure qui lui tient à coeur. C’est son truc, confie Dominique, son épouse. Les gens viennent le voir au milieu du village. On lui apporte des poules, des œufs. Chacun vient plaider sa cause, lui expliquer ses problèmes de santé.
Cette fois, Dominique l’a laissé partir seul mais lui a offert le prix du voyage 2014 pour leurs quarante ans de mariage ! Un beau cadeau qui témoigne de leur totale complicité dans cette entreprise familiale désintéressée et qui s’apprête à fêter son 25ème anniversaire. Gilbert le Bienfaiteur est à chaque fois reçu comme l’homme providentiel, entre l’abbé Pierre et Mère Teresa !
« On s’arrêtait, on mangeait une glace, et voilà… »
– On finance surtout les interventions chirurgicales, précise-t-il, pas peu fier de sa réussite. Mais maintenant on pousse sur les bourses d’étude. Cela nous a déjà permis de former deux avocats, des infirmières, des comptables, des instituteurs et d’avoir des étudiants en médecine.
Pur produit du terroir vaudois (ses parents étaient agriculteurs à Daillens), Gilbert Bischoff a su cultiver cette modestie et cette discrétion qui sont la marque des gens heureux et bien dans leur peau. Jamais il n’a dérogé à ses principes de vie simple et saine et malgré une carrière au goût d’inachevé ses neuf années de compétition ne lui laissent que d’excellents souvenirs.
– Nous étions amateur à cent pour cent, une bande copains. On gonflait nous mêmes les boyaux. Il n’y avait aucune pression de résultats. On n’était certes pas beaucoup payé mais c’était une belle époque. On était content. En revenant des courses, on s’arrêtait, on mangeait une glace, et voilà…
Bertrand Duboux
1°) Le Grand Prix Suisse de la route a été créé en 1962 par deux dirigeants du Cyclophile sédunois, Gaston Granges et Gérard Lomazzi. Il s’agissait alors de la plus importante course en Suisse pour amateurs Elite, disputée à l’origine en 4 étapes entre Genève et Evolène. Tous les meilleurs coureurs helvétiques y ont participé et s’y sont illustrés avant que l’épreuve ne disparaisse en 1982.