Quand le « Gravel bike » entre en Résistance

Texte: LAURENT GRABET
Photos: DAVID MALACRIDA

9 AVRIL 2018

Evénement
Evasion
Gravel

Sur le papier, nous peinions à comprendre l’engouement suscité par le « gravel bike ». En septembre dernier, « la Résistance », épreuve emblématique de la discipline, organisée du côté d’Annecy (F), nous ramenait à de meilleurs sentiments. Reportage.

« Gravel Bike, vraie pratique ou lubie marketing ? » titrait un collègue dans le n°42 de ce magazine au printemps dernier. Même après avoir dégusté son enquête, nous penchions clairement pour la seconde option. Mais histoire de ne pas mourir idiot, engoncé dans ce qui n’étaient peut-être que des préjugés, nous avions décidé de tester la chose. L’occasion s’est présentée le 16 septembre du côté d’Annecy (F) avec « la Résistance ».

Cette cyclosportive gravel non chronométrée jouit déjà d’une belle popularité.

Cette cyclosportive gravel non chronométrée jouit déjà d’une belle popularité. Pas moins de 200 passionnés ou curieux s’alignent sur cette seconde édition. L’épreuve a choisi, un peu pompeusement, pour devise : « Vélo libre et souvenir ». La chose en dit déjà un peu sur le « gravel bike ». « Cette manière de rouler consiste à sortir des sentiers battus pour chercher l’aventure et l’exploration sans vrai souci de performance. C’est plus léger et plus réactif que le VTT et permet de s’inventer des itinéraires plus ambitieux. Bref, c’est bien du ’’vélo libre’’», soulignait doctement Samuel Dixneuf, co-organisateur de l’épreuve et féru de gravel, à l’heure du départ.

Nos gambettes allaient s’en rendre compte: de la résistance, il en faut une bonne dose pour venir à bout de ces 130km, de leur 3000m de dénivelé positif et des quatre portions gravel, pour un total de 40km…

Voilà pour le côté « libre ». Le côté « souvenir » faisait quant à lui allusion au fait que le grand parcours passe au Plateau des Glières, haut lieu de la résistance aux nazis lors de la seconde guerre mondiale. D’où d’ailleurs le nom, à double sens, de l’épreuve. Nos gambettes allaient s’en rendre compte: de la résistance, il en faut une bonne dose pour venir à bout de ces 130km, de leur 3000m de dénivelé positif et des quatre portions gravel, pour un total de 40km… Le départ, aussi magnifique que roulant, le long de la rive Est du somptueux lac d’Annecy, ne laisse rien présager de la suite. Pas plus que les kilomètres de plat qui suivent menant via une impeccable piste cyclable, au pied de la première difficulté. A ce stade, mis à part sur les 20km de la première portion gravel gadouilleuse du parcours, parler en roulant reste possible. Nous ne nous en privons pas en abordant notamment David Wilkins et son coéquipier.

Respectivement dossard 5 et 6, les deux amis, ont fait le déplacement depuis Londres ! Et ces très fringants quadras ne sont d’ailleurs de loin pas les seuls britanniques à participer. Un article de dix pages paru en avril 2017 dans la bible « Cyclist Magazine » a donné une certaine notoriété à la petite « Résistance » outre-Manche. Tout comme le fait que l’épreuve est très liée au magasin de cycle Basecamp de Talloires, lequel est géré par quatre passionnés dont deux britanniques. L’un d’eux est un certain Ross Muir, qui fut cycliste pro chez Crédit agricole.

Les 14km à 10% de l’Arpettaz serpentent d’abord dans les champs, puis dans la forêt. On monte « à sa main » sans jamais être gêné par les voitures totalement absentes ici, ni pas le fait que notre compteur affiche une vitesse à un chiffre. En bas dans la vallée, s’évapore Ugine l’industrieuse tandis que devant nous se dessine peu à peu l’univers de la montagne. « C’est l’un des plus beaux cols que j’ai vu, assène un participant en nous dépassant. Faut en profiter, le jour ou la route s’effondre, ils la referont pas ! » La phrase a valeur d’encouragement car ici, jamais on ne dépasse en s’ignorant ou en se regardant de haut…

Avec un gravel on se surprend à redécouvrir une région que l’on se targuait de connaitre par cœur…

« Le gravel, c’est un peu marketing mais c’est convivial. On y déguste de beaux paysages et l’ambiance n’est pas prise de tête. On discute, on ne se tire pas la bourre. Ca change des courses habituelles !» résume donc David Wilkins tout en emmenant son ami à 40km/h vers l’Arpettaz (1581m). En un sens, ce genre de col légitime à lui seul l’invention du gravel. Sur un vélo de course classique, on ne peut le pratiquer qu’en mode aller-retour, ce qui reste plutôt dissuasif. En VTT, il se révélerait poussif. Avec un gravel en revanche, emprunter la longue route caillouteuse qui lui succède et poursuivre l’aventure devient possible. Et l’on se surprend à redécouvrir ainsi une région que l’on se targuait de connaitre par cœur pour en être originaire et l’avoir longtemps sillonnée à vélo.

Sur « la Résistance », les ravitos aussi sont plus conviviaux qu’ailleurs. « Pour commencer, les gens s’y arrêtent ! Et puis ça papote, ça compare ses vélos et ça se prend en photo avec les chèvres », constate amusé David Malacrida, photographe officiel de l’épreuve, à l’heure de celui du sommet de l’Arpettaz. Et puis, on peut y faire tamponner son si désuet mais charmant « passeport-souvenir ». On y trouve surtout un étonnant cocktail fait de fraises Tagada, de gouteux reblochons et de chocolat. Le tout enrobé dans la bonne humeur de bénévoles, qui en revanche peinent à informer clairement sur la suite des « hostilités ».

Heureusement d’ailleurs car sinon, peut-être aurions-nous rebroussé chemin ! La suite constitue en effet le morceau de choix des deux parcours proposés par « la Résistance ». Cette « route de la soif » s’enfonce au cœur du massif des Aravis et les choses y prennent véritablement un tour gravel. « Ca secoue, ça tabasse, c’est casse patte et les jambes piquent un peu même pour moi qui vient du VTT mais que les paysages sont beaux ! Et puis, ça nous change des journées passées devant un ordi au bureau », résumera ravi au final, Gérald Karzsnia, comptable lyonnais de 32 ans, qui étrenne ici un vélo gravel flambant neuf. Véritable balcon donnant sur le Mt Blanc, en 14.5km de cailloux et de montagnes russes, la « route de la soif » nous emmène vers le col des Aravis (1487m) sous l’œil de quelques randonneurs et vaches intrigués. C’est un peu la galère. En montée, ça n’avance pas. En descente, on fait du surplace à 15km/h les mains crispées sur les freins alors qu’à VTT on avalerait la chose à 40km/h.

Les organisateurs, dont-Samuel-Dixneuf et Ross Muir, à-gauche. Photo Grabet

Gérald Karznia. Photo Laurent-Grabet

Photo David Malacrida

Laurianne Plaçais. Photo Laurent-Grabet

Sans compter qu’une crevaison vient corser le tout et que nous avons oublié nos démonte-pneux ! Un participant nous laisse les siens tout naturellement. C’est avec grand plaisir et avec l’impression que la route de la soif nous a méchamment bizuté que nous retrouvons finalement le bitume. A ce stade, la célèbre citation de Bernard Hinault à propos de Paris-Roubaix nous revient et nous voilà tenté de l’appliquer telle quelle à « la Résistance » : « Cette épreuve est une belle cochonnerie. » Sauf que nous revient en mémoire au même moment cette vieille photo noir et blanc de Coppi et Bartali s’affrontant sur les pentes d’un col non goudronné. Et la conviction de goûter nous aussi une petite tranche de ce cyclisme héroïque d’un autre temps s’impose alors. D’autant que la monture cyclocross, de marque Specialized, gracieusement prêtée par le rédacteur en chef du Magazine pour boucler ce reportage, se prête fort bien à l’exercice sur la fin du parcours. Lequel passe soit par le Col de la Croix-Fry, bien connu des coureurs du Tour de France, soit par une redoutable route menant au plateau des Glières, selon la variante choisie.

Certains cyclistes ont gardé leurs sacoches comme pour souligner qu’ici, l’autonomie fait partie intégrante de l’aventure.

Autour de nous, de véritables « gravellers » arborent de véritables vélo gravel. Certains ont des pneux crantés section 35, d’autres des guidons aussi rétros qu’élégants. L’une des plus performantes de ces machines, l’Open Suisse 3T, accuse seulement 7.5 kg sur la balance. Certains cyclistes ont gardé leurs sacoches comme pour souligner qu’ici, l’autonomie fait partie intégrante de l’aventure. Parmi les adeptes du gravel, on trouve une bonne part de cyclotouristes amoureux d’aventures aux long courts et aussi pas mal de bobos esthètes à la culture cycliste plus récente. La plupart semble avoir des moyens à en juger par leur monture et leurs voitures alignées sur le parking. Il faut dire que l’inscription à « la Résistance » coûte 70 euros, une belle somme en France vu le contexte économique.

La conviction de goûter une petite tranche de ce cyclisme héroïque d’un autre temps?

Les femmes ne sont pas rares. Laurianne Plaçais est l’une d’elle. Cette Chambérienne de 32 ans est championne du monde de cross-triathlon Xterra dans sa catégorie. Elle a découvert le gravel, il y a quelques mois, et apprécie le dépaysement que cette discipline lui procure.  C’est sa première rando gravel et, même s’il n’y a pas de classement, elle la termine première. Question de principe ! « Le gravel, ça secoue dans tous les sens à la descente ou ça permet d’aller n’importe où, de couper par les champs ou la forêt si ça nous chante, s’enthousiasme l’athlète. Pour qui n’aime pas trop avoir du monde autour de moi, surtout à la montée, c’est idéal ! »

L’incontournable Damien Bisetti, de son côté, a bouclé la petite « Résistance ». L’inventeur de la fameuse bière Vélosophe, constate un véritable engouement autour de cette pratique. Dans son magasin de cycle genevois, il vend d’ailleurs pas mal de vélos de gravel. « Au-delà de 40 ans, les gens vont se diriger de plus en plus dans cette direction car beaucoup en ont marre de se retrouver sur des routes coincés par des voitures, pronostique le professionnel de 49 ans. Et puis à cet âge, la perf pure est derrière eux, ils ont écumé pas mal de route et le gravel leur rouvre pas mal de perspectives et de nouveaux parcours… »

« Ça nous change des journées passées devant un ordi au bureau ».  Gérald Karzsnia 

En l’écoutant, nous réalisons « tristement » que nous entrons dans cette catégorie. Quelques sorties typées gravel dans les jours suivants la Résistance, feront le reste. Nous avons compris l’essentiel : invention marketing ou non, le gravel séduit. Il permet de longues et inédites randonnées montagneuses que la lenteur et la lourdeur d’un VTT rendraient interminables et laborieuses et que la fragilité d’un vélo de course classique interdirait tout bonnement. La discipline a un savoureux goût d’aventure. Elle donne l’impression d’être un géant de la route escaladant un col poussiéreux le confort d’une monture moderne en plus. Nous voilà convertis !

Infos: www.laresistance.cc